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JEUNE FEMME CHERCHE EMPLOI

OU COMMENT UNE RECRUE EST NÉE

Au commencement d’Une recrue, il y a une expérience. Aussi courte, insignifiante qu’elle soit. La subjectivité la grossit, lui donne une réalité presque fantasmatique, et pourtant je n’ai pas rêvé, j’ai bien vu, entendu, vécu cela.

Je cherchais du travail – un petit boulot, envie de changer. Je me suis dit hôtesse pourquoi pas. J’ai passé deux entretiens dans la même journée. Face à une femme, élégante, jeune, courtoise, qui venait de fonder son agence, puis un homme, jeune, courtois lui aussi, étriqué dans son costume, fier de nous répéter un même discours, bien lisse, mais d’une telle violence. “Donc surtout,ce qu’on vous demande c’est d’être discret. On ne doit pas trop vous voir. Vous êtes là mais on doit pouvoir vous oublier.” “Vous”, car nous étions un groupe. Session de recrutement collective. Et chacun d’énoncer ses qualités, ses défauts, de raconter des petites anecdotes, l’air de rien, dans la bonne humeur. Livrez-vous,montrez-nous comme vous êtes à l’aise, c’est déjà ça de gagné. J’étais consternée. Ce n’était pourtant pas la première fois que je me trouvais dans cette position. Mais le faux langage, les fausses situations imposées dans le dialogue, et la confiance, toute aussi fausse qui est censée s’installer, m’avaient sur le moment désarmée. Puis emplie d’une sorte de dégoût. Vint ensuite la dérision.

La pièce est nourrie de ces trois sentiments. Ce sont ceux d’une jeune femme qui avance en terre inconnue, et s’éloigne peu à peu de ses désirs profonds. Elle continue de s’étonner mais le dégoût est déjà là. Sans possibilité de distance. La dérision, elle peut pas. Mais la recrue, ce n’est pas moi. Je peux bien rire d’où je suis. Entrer dans le raisonnement, poursuivre le délire. Et j’ai pris un plaisir fou. C’est assez jouissif le recrutement ! Lorsqu’on est du bon côté.

Plus que le travail, c’est son impact qui m’a interrogée. Sa capacité à nous transformer. Sur le lieu de travail même, et au-delà. Il s’immisce dans notre corps, notre pensée, influe sur nos humeurs, nos relations. Entre nous cet autre, que nous devons être au travail. Et cet autre peut prendre le dessus, sans prévenir. Notre sensibilité encaisse, à sa façon. Elle tient. Éprouve, de toute sa solitude. Jusqu’à l’abandon.

Noémie Fargier, janvier 2011

AGATHE : Comment ça vous est venu ?

 

JANa : Quoi ?

 

AGATHE : Ce désir de travailler dans l’accueil.

 

JANA : ça a été… immédiat. Un voyage en Angleterre. Là-bas, ils sont à la fois chaleureux, polis et distants. Un véritable sens de la courtoisie.

 

AGATHE : Et vous avez travaillé là-bas ?

 

JANA : Oui. Mais dans un fast-food.

 

AGATHE : Ah. C’est formateur aussi.

 

JANA : oui, vraiment.

 

AGATHE : Vous jouez au Loto ?

 

JANA : Non.

 

AGATHE : Jamais ?

 

JANA : J’y ai déjà joué. Mais si je suis là... 

 

AGATHE : L’argent, c’est important pour vous ?

 

JANA : Comme pour tout le monde, je crois.

 

AGATHE : Vous arrive-t-il de lire en diagonale ?

 

JANA : Assez souvent, oui.

 

AGATHE : Préférez-vous écouter ou parler ?

 

JANA : J’aime bien qu’on m’écoute quand je parle.

Écouter. Écouter c’est primordial.

 

AGATHE : Quels types de dessins faites-vous quand vous êtes au téléphone ?

 

JANA : Je ne fais pas de dessins.

 

AGATHE : Vous devez bien gribouiller quelque chose.

 

JANA : Des cercles concentriques.

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