EN DÉROULANT LE FIL
Marianne sur un fil traite de la séparation, en tant que situation familiale, mais également comme figure de la fragmentation et de la discontinuité. Au début de la pièce, tout ne va pas pour le mieux, cependant rien n’annonce ce qui va arriver. Les parents de Marianne se font du souci car leur fille a de drôles de jeux, et le fils des propriétaires, « borderline », menace leur confort et leur sécurité. Ils décident de déménager, et ce n’est qu’après, sans lien direct avec la première situation, qu’ils se séparent. Rien ne dit si ce déménagement déguisait une séparation, s’il s’agit d’une coïncidence, ou s’il l’a précipitée. Cela reste à l’état d’hypothèse,et ce vide, ce non-dit, cette absence de liens, laisse place à toutes sortes d’interprétations.
Je me suis d’abord racontée l’histoire comme le fait un enfant, passant d’une situation à une autre par la simple chronologie. Les parents de Marianne veulent l’emmener chez le psy et après ils déménagent et après sa mère lui offre un chat et après ils se séparent et après Marianne découvre l’appartement de son père et après... J’ai déroulé le fil. Puis, dans un deuxième temps, avec le recul de l’adulte qui raconte cette histoire, j’ai glissé des indices en forme de suppositions. En puisant dans ma propre enfance, j’ai retrouvé cet état d’étonnement, ce sentiment d’être pris de cours, de tomber des nues. J’ai cherché ce regard, ahuri puis critique, né dans l’éclatement de l’unité familiale. En le prêtant à Marianne,j’ai voulu transfigurer une expérience intime, pour y chercher la poésie, et lui donner la forme d’un conte. Jouant des doubles et des oppositions, glissant de détails en symboles, le fil dramatique s’est déroulé, en toute évidence. Il m’a alors suffi de laisser Marianne marcher sur le fil, à l’écoute de ses désirs et de ses questionnements. Ballotée d’une maison à l’autre, partagée entre sa mère et son père, le chat et l’oiseau, ce qu’elle cherche plus que tout, dans ce monde qui est le sien, c’est la continuité.
L’écriture adopte le point de vue de Marianne, ses rêves, ses pensées, et la suit d’un bout à l’autre de sa trajectoire. La structure de la pièce, en forme de montage, joue de l’alternance de scènes visuelles et dialoguées, des ellipses, de la fragmentation de l’espace, mais suggère néanmoins des passages, des raccords, que la mise en scène aura l’art de sublimer. Composé comme un album jeunesse ou un film d’animation, le texte allie la parole aux sons et aux images, pour rendre sensible une subjectivité. Faisant confiance aux possibilités que donnent le son et la lumière, mais aussi la vidéo et le théâtre d’objet, il invite à élargir les possibilités scéniques et à penser les médiums de représentation, pour faire exister cet imaginaire, dans une vision globale. Si le texte veut donner à imaginer, le spectacle devra donner à rêver, dans un festival de couleurs et de sensations. Il devra emporter par son souffle, nous élever de la réalité quotidienne, nous grandir. Laisser une empreinte vivace entourée d’ouvertures, de questions. Trouver un écho intime, que l’on soit un adulte ou un enfant.
Noémie Fargier, avril 2015
MARIANNE
Est-ce que
si un chat et un oiseau s’entendent très bien
ils peuvent avoir des enfants ensemble ?
LA MÈRE
Je crains que non ma chérie.
MARIANNE
Pourquoi ?
LA MÈRE
Parce qu’ils sont trop différents.
MARIANNE
Toi et papa vous êtes très différents
et vous m’avez bien eue.
LA MÈRE
Oui…
MARIANNE
Papa il rit tout le temps et toi tu pleures tout le temps
et vous m’avez bien eue.
LA MÈRE
Ton père et moi sommes de la même espèce, Marianne.